Le mot
d'Iris
« Ce n’est
pas parce que les choses sont difficiles qu’on n’ose pas les faire.
C’est parce
qu’on n’ose pas les faire qu’elles sont difficiles. »
Première
impression : Irréelle. Et oui pourtant nous l’avons bien fait, deux mois et
demi sans argent. Sans un sou. Déconnectés de notre système économique.
Jusqu’au-boutistes et heureux. Heureux d’avoir démontré que cette manière de voyager
est possible. Heureux de cette aventure. Heureux de l’avoir accomplie.
Ce voyage
m’a apporté joie, rires et émerveillements. Mais aussi fatigue, pleurs et
déceptions. Ce mélange de hauts et de bas fut le fruit de nos expériences et
chacune nous a enrichie. Un retour à l’essentiel m’était nécessaire pour
prendre conscience du luxe dans lequel je vivais. Un confort dont je n’étais
pas reconnaissante auparavant. Ce qui nous entoure, par habitude, nous devient
bien souvent invisible. Ce voyage m’a ouvert les yeux. J’ai vu un monde où la
générosité, le partage et l’humanité règnent. J’ai fait des rencontres
merveilleuses, admiré des paysages magnifiques. J’ai beaucoup appris sur
différentes cultures, utilisé plusieurs langages. J’ai constaté que chaque territoire
est unique et nécessite un temps d’adaptation. Chaque personne est unique,
possède une histoire a raconter et quelque chose à t’apporter. J’ai pris le
temps de regarder, d’admirer, de discuter, d’être attentive, d’apprendre et de
comprendre... Je me suis initiée à écouter mon corps, mes pensées, mes envies
et ma respiration. J’ai appris à porter de l’attention à chaque rencontre, à ne
pas négliger les coïncidences, à être reconnaissante de ce que la nature nous
offre, à retrouver un sens spirituel et non matériel à ma vie.
Un retour en
arrière m’a été bénéfique pour comprendre l’utilité primaire de la monnaie :
faciliter l’échange et gagner du temps libre.
Tous les
jours nous nous posions les mêmes questions : Où allons-nous trouver à manger ?
Où allons-nous dormir ? Une voiture s’arrêtera-t-elle pour nous prendre en
autostop ? Manger, se laver, attendre, se déplacer, faire ses besoins,
s’hydrater, dormir... L’argent permet de nous libérer l’esprit de ces
questionnements. Grâce à ce moyen d’échange, les hommes ont obtenu du Temps
Libre. A l’aide de ce voyage, j’ai réalisé à quel point ce système d’échange
entre humain était utile et le temps libre précieux. L’idée est de savoir
utiliser cette monnaie et son temps libre à bon escient.
Nous avons
réussi à nous nourrir grâce au gaspillage de notre société. Pourquoi dépenser
de l’argent tant que des déchets (comestibles) ne cessent d’accroitre ? En
sensibilisant les personnes autour de nous, nous avons ouvert les yeux à chacun
sur cette société de surconsommation. Nous leur avons expliqué que nous
possédions tous un poids politique important avec notre consommation. Nous
avons rencontré de nombreuses personnes déjà sensibles à ces problématiques,
mais à l’instar d’autres ne s’attendaient pas à voir autant de nourriture jeté
sur les fins de marchés. Moi-même j’ai été choquée de voir autant de gaspillage
et heureuse de ne rien pouvoir récupérer dans certains marchés de producteurs
où rien n’était gaspillé et tout recyclé.
Chaque
première fois est appréhendable. Il faut savoir oser. Je suis de nature timide
et mes voyages m’ont beaucoup appris à prendre confiance en moi. Dans cette
aventure, j’ai dû faire de nombreux premiers pas, aborder de nombreuses
personnes, quémander de la nourriture, et souvent j’avais un bon retour et je
faisais une belle rencontre et je me disais ‘Waouh il suffit vraiment de
demander, c’est la clé’.
Je voudrais
que ce ne soit pas à refaire, car j’aimerais voir cette société évoluer et
changer. Mais tant que cette société perdurera, je continuerai. Je prendrai
part au changement, car j’y crois profondément.
Je laisserai
ma goutte d’eau dans cet océan.
« Rester
c’est exister. Voyager c’est vivre. »
Le mot de
Thibaut
Notre
rapport à la consommation a été bouleversé durant ce voyage. J’ai
personnellement apprécié le fait de se déconnecter du système de consommation.
Cela m’a permis d’aborder un autre point de vue sur les personnes que nous
rencontrions, les endroits que nous visitions… On ne visite pas les mêmes coins
lorsque l’on est touriste. En tant que touriste, un chemin doré nous est tracé
et nous amène tout droit à la consommation de masse : boutiques de souvenirs,
nourriture à emporter, restaurants hors de prix, activités de loisirs. En
plantant la tente dans les parties moins fréquentées des villages/villes, nous
avons assisté à l’envers du décor. Au Portugal, nous avons plusieurs fois mis
les pieds dans la partie pauvre des petites villes côtières touristiques, là où
logent les saisonniers, dans des HLM gris et tristes. Bien loin de l’idéal
lumineux du front de mer. Nous sommes tombés sur de vieux immeubles
abandonnées. Bien sûr, le fait de ne pas utiliser de guide touristique nous
mène tout droit hors de cette ‘zone de confort’ touristique pour atterrir dans
le ‘vrai’ qui compose la grande majorité du territoire d’un pays.
Notre
rapport à l’autre fut aussi bouleversé. Nous avons pu nous confronter à de
multiples réactions lors de nos premières rencontres : l’aide, la peur, le don,
la surprise positive et négative, l’incompréhension. La façon de présenter le
projet a beaucoup joué. Nous l’avons fait évoluer au fil du parcours. J’ai pu
m’apercevoir que le fait de se présenter comme membre d’une structure rassurait
nos interlocuteurs. Dire que nous sommes étudiants dans une école, que nous
faisons cela dans le cadre d’un stage pour une durée limitée. Il y avait
quelque chose de rassurant là-dedans. Le fait de présenter le projet dans notre
langue maternelle a largement facilité sa compréhension.
Mon rapport
à l’argent est aussi différent. Je pense qu’avant ce voyage, je conceptualisais
le pouvoir de l’argent mais je ne me rendais pas compte dans le concret de
l’arme que tout le monde a (plus ou moins) entre les mains. Aujourd’hui, je
réfléchis à chaque fois qu’une dépense doit être faite : en ai-je vraiment
envie ? Ai-je le choix ? Mon acte se place-t-il dans un dessein positif ?
« Chaque
fois que vous dépensez de l’argent, vous votez pour le type de monde que vous
voulez. » (Anna Lappé)
Maintenant
les billets et les pièces de mon porte-monnaie, ainsi que les chiffres de mon
compte en banque sont vus comme des moyens de soutiens. Je vous achète vos
tomates car je veux soutenir le modèle d’agriculture que vous pratiquez, etc…
Ce voyage m’a permis donc de remettre de la SUBSTANCE au sein de ce concept mal
compris qu’est l’argent.
Nous avons
parcouru 5 pays dont 4 en langues étrangères (Suisse alémanique, Italie,
Espagne – pays basque -, Portugal). Le premier palier de l’intégration est bien
entendu la langue. Pas d’intégration sans communication. Sachant que le niveau
d’anglais moyen des habitants de ces pays n’est pas très élevé, la
communication fut parfois difficile ou limitante. Elle a joué un rôle de filtre
: en favorisant le contact avec ceux qui pratiquent l’anglais au dépend des
autres. Bien entendu nous avons fait des efforts dans chaque pays pour
apprendre les basiques en se créant des fiches de mots utiles et des phrases
toutes faites. D’autres formes de communication entrent en jeu comme le langage
corporel (mouvements de mains, intérêt, sourire, active listening…). Nous
possédions également un livre d’images destiné à montrer ce que l’on cherche ;
nous ne l’avons, au final, jamais utilisé. Nous apprenions sur le tas la
culture locale. Ce qui est ou n’est pas dans les moeurs – comme accueillir un
étranger chez soi ou faire de l’autostop. Il faut savoir que la culture reflète
un ensemble général mais ne tient pas compte des exceptions.
Nous avons
voyagé à deux, en couple. Cela fut une facilité et une difficulté. Iris et moi
partageons la même passion du voyage. Notre coopération au cours de ce voyage a
reposé sur la communication et sur la force mentale à résister à la fatigue et
aux aléas quotidiens. Faire du stop, plonger dans les poubelles pour ne parfois
rien trouver, se réveiller tôt par de grosses chaleurs ; les journées ne sont
pas monotones. Chaque jour nous étions rayonnants mais chaque jour aussi nous
étions fatigués – physiquement ET mentalement. On peut voir ça comme une sinusoïde
non périodique. Le fait est que dans ces moment Down on ne peut abandonner, il
n’y a pas d’issues. Il faut avancer : chercher à manger, chercher à dormir,
chercher à se déplacer. C’est là qu’intervient l’autre. Nous avons développé
une faculté d’attention sur l’autre qui a permis de prendre le relais quand le
partenaire était Down et de se reposer quand l’autre était Up. Je ne parle pas
de parfaite synchronisation mais d’un effort de coopération permanent. Cela m’a
appris plusieurs choses : prendre sur soi, redynamiser autrui, travailler pour
deux, écouter son corps et son esprit, être dans le moment présent, réagir à
l’imprévu…
Le
self-control est important. On ne peut pas non plus se laisser aller au stress,
on se doit d’être rassurant, calme et de trouver les solutions nécessaires et
adaptées aux situations difficiles que l’on traverse. Nous portions tous les
deux des sacs à dos de voyage de plusieurs kilos (une quinzaine pour Iris et
une vingtaine pour moi). Cela implique plusieurs choses : une bonne forme
physique pour pouvoir les porter ; une motivation mentale pour les remettre sur
le dos jour après jour et une organisation sans faille dans leur rangement. La
fin de notre voyage était tout de même marquée par la fatigue. Nous nous
trouvions sous des chaleurs écrasantes la journée et nous flanchions quelque
peu physiquement. Nous avancions moins, nous restions plusieurs jours au même
endroit pour se reposer.
L’un des
maître-mot de notre voyage fut peut-être l’ouverture d’esprit. De la part des
autres mais surtout de notre part. On se devait d’être constamment intéressé
par l’autre, ce qui ne représente pas un grand effort, cela est plutôt naturel
pour nous. Mais lorsque quelqu’un vous prend en stop, vous ne pouvez pas
simplement vous asseoir et ne rien dire. Il faut faire la conversation,
valoriser cette rencontre, lutter parfois contre la fatigue morale. Là surgit
l’importance de voyager à deux, pour prendre le relai, pour se soutenir. Nous
avons aussi rencontré beaucoup, beaucoup de personnes et toutes différentes :
de toutes les confessions, de toutes philosophies, qui soutenaient ou qui
rejetaient notre projet.
Intellectuellement,
il fut très intéressant d’échanger avec eux. De comprendre aussi leur façon de
vivre, de s’interroger sur la nôtre. Nous avons vécu quelques temps avec des
jeunes vivant en communauté dans une exploitation agricole perdue dans la
montagne, qui vivaient selon une philosophie bien à eux de simplicité
volontaire ou de sobriété heureuse. Nous avons aussi rencontré des personnes
peu soucieuses de nos objectifs, comme une jeune femme travaillant dans le
domaine de la finance qui voyait le monde tel un vaste océan de débits et de
crédits. Le plus grand bonheur fut lorsque nous réussissions à donner le goût
de l’aventure à des personnes vivant dans un quotidien répétitif. Un père de
famille nous a avoué vouloir repartir à l’aventure, avant que son corps ne le
lui permette plus, dès que sa fille terminera ses études.
Pour
conclure
Notre voyage de deux mois et demi a été des plus
enrichissant. Nous avons rempli notre objectif puisque nous n’avons pas
déboursé un sou. De plus nous avons pu exploré de nombreuses alternatives et
prouvé qu’un tel voyage est possible. Nous sommes fiers d’avoir pu réaliser ce
rêve, ensemble. A bien y réfléchir, cela nous apporté un cran de maturité. Nous
avons découvert en nous et chez l’autre des ressources inexplorées et des
capacités incroyables qui ne peuvent être mises en exergue seulement dans des
conditions extrêmes. Ce voyage fut une belle école de la vie, bien plus que
tout ce que l’on peut apprendre enfermé dans une salle de classe. Un voyage
épanouissant en somme. Une expérience partagée.
Nous tenons
à remercier toutes les personnes rencontrées sur notre route, celles avec qui
nous avons partagé et ceux qui nous ont accueillis les bras ouverts. Celles qui
nous aidé a construire ce voyage et ont cru en nous pour le réaliser. Celles
qui nous ont suivi durant notre périple. Merci à ceux qui nous ont permis de
financer notre matériel.
Le guide du
voyage est en cours d'élaboration, il faudra être patient. Bientôt, vous
pourrez vous en inspirer et le compléter avec vos expériences.
Nous espérons
que ce voyage vous aura inspiré.
Nos petites
graines ont désormais bien poussé.
Aventureusement votre,
Iris et
Thibaut
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